La supplique des Savignois en 1781
A RETENIR
L’église Sainte-Marie, au sud du monastère, a fait l’objet d’un intérêt tout particulier de la part des habitants de Savigny à la fin du XVIIIe siècle. À la Révolution, au moment où les édifices de culte sont menacés de destruction, les paroissiens demandent aux nouvelles autorités le rattachement à la paroisse de Savigny.
En 1781, lorsque le décret de suppression de l’abbaye est promulgué, les habitants s’élèvent contre la suppression de l’église Sainte-Marie en adressant une supplique à l’archevêque pour tenter de la sauver. Ils insistent sur un point, la chapelle Saint-Léger, à laquelle ils confèrent une antériorité toute particulière et une importance due aux personnes inhumées en son sein. En effet, de nombreuses personnalités régionales ont été enterrées dans cette chapelle. Plus surprenant encore, sur les 141 personnes inhumées au sein de l’abbaye, 51 d’entre elles étaient des laïcs et certains d’entre eux ont été enfouis dans l’église Sainte-Marie*. Cela confirme donc que, contrairement à l’église abbatiale Saint-Martin, les laïcs avaient accès à ce lieu de culte. Bien sûr, tous les paroissiens n’ont pas eu droit à un caveau mais seulement quelques familles puissantes de la région comme les Talaru, proches des comtes du Forez. Les savinois y sont attachés pour deux autres raisons d’ordre spirituelles : Certains paroissiens auraient senti la présence de la Vierge. De plus, Notre-Dame est l’un des points de pèlerinage important de la paroisse. Ces éléments permettent de comprendre la supplique rédigée en 1781 dans laquelle on mentionne que « les suppliants ont une dévotion toute particulière à cette chapelle » (AD Rhône, 1 H 26/5-6).
Après la Révolution, l’église Sainte-Marie, a été vendue en 1795. Elle n’est pourtant pas détruite directement après cette date. Les habitants de Savigny, attachés à ce lieu de culte, cherchent dans les premières décennies du XIXe siècle à entretenir l’édifice en le réinvestissant. Plusieurs maisons s’installent autour de l’édifice alors qu’un cuvier est aménagé à l’emplacement du vestibule. On constate aussi qu’en 1830, au moment de la levée du plan cadastral, la chapelle Saint-Léger* n’a pas été remaniée. Ce plan montre la complexité de la réimplantation du quartier à l’emplacement de l’église Sainte-Marie (fig. 1). Il est possible de suivre l’évolution de la transformation de l’ancienne église grâce aux photos et aux relevés des érudits ayant travaillés sur l’abbaye (fig. 2)..
Si le devenir de l’église Sainte-Marie mérite d’être souligné, c’est parce que l’abbatiale Saint-Martin ne connait pas le même sort. La supplique de 1781 ne mentionne à aucun moment la grande église, pourtant menacé elle aussi de destruction. Par la suite, à la fin du XVIIIe siècle, les lieux de culte sont attaqués par les Révolutionnaires en quête d’éradiquer tout signe de rattachement à une monarchie de droit divin. La maior ecclesia du monastère n’échappe pas à ce phénomène. Elle a été largement pillée et démantelée à partir de 1791. Cette volonté d’effacer les lieux de culte de la trame urbaine traduit moins un rejet de la religion catholique qu’une volonté de se détacher du pouvoir féodal. Pour les habitants de Savigny, l’église monastique incarnait l’oppression du pouvoir en place. Son imposant clocher marquait le paysage de son caractère intimidant associé aux puissants seigneurs locaux. C’est d’ailleurs le seul élément que la municipalité révolutionnaire, qui qualifie l’ouvrage de « monument onteux de féodalité et de fanatisme », s’est attelé à détruire (AM Savigny, reg. 1791-1813, f°129v-130r).
Bien que quelques initiatives aient été mises en place pour la sauver dès les années 1780, la Révolution est venue sceller le sort de l’édifice de culte. En 1796, le long processus de destruction de l’abbatiale s’achève.
Enfin, la disparation de l’église Sainte-Marie intervient donc sur un temps long. Tout le long du XIXe siècle et au début du XXe siècle, les reconstructions et démolitions se sont enchaînées. Elle ne résulte pas d’une destruction programmée mais d’un démantèlement opportuniste des habitants pour récupérer les matériaux employés dans les maçonneries anciennes.
Baptiste Thépénier, mars 2025
Pour en savoir plus
Olivia Puel, « Démolir, transformer ou conserver ? », in Perspectives Médiévales [En ligne], n° 41, 2020