Benoît Maillard – Grand Prieur de l’Abbaye de Savigny.
Benoît Maillard, fils de Pierre Tassin, notaire à l’Arbresle, naquit à Savigny, avant midi, le samedi dernier jour de mars, veille de Pâques 1431. Il fut en nourrice d’abord chez Martin de Milieu, paroissien de Brulliolles, puis chez Jean de Saint-Jean, de la paroisse d’Ancy, enfin chez Berthaud du Four à Montmonot. Il devint moine le jour de Pâques 1437, à l’âge de six ans. Le jeudi 24 octobre 1437, à l’âge de quatre ans et demi, il fut opéré de la pierre, dans la maison de son père, par maître Guillaume de Villefranche, tandis que le tenaient par les deux jambes Louis de Rossette et Hugues de Tarare, moines de Savigny.
L’existence de Benoîst fut plus paisible que celle de ses frères. L’habileté de l’homme, rapidement décelé par ses supérieurs lui permit une brillante carrière.
- En l’an 1441, malgré l’occupation anglaise, Pierre emmena ses enfants à Paris pour y faire leurs études. Jean, l’aîné, avait onze ans ; Benoît, notre auteur, dix ans ; Guillaume, neuf ; Claude, sept ans et demi.
- En 1462, il est capiscollus (personne qui s’occupe de l’enseignement des enfants), mais échange presque aussitôt cet office pour celui de cruiserius (chargé d’entretenir le cierge devant la croix) avec frère Antoine de Rivoire.
- En 1463, il est élevé à la dignité de communier, charge qu’il occupa pendant 17 ans avant d’être élevé à la dignité de sacristain : en 1464, il fait un voyage à Rome, voit le pape Pie II et s’entretient avec lui.
- En 1467, il quitte le monastère de Savigny pour aller à Valence pour étudier et obtint ses grades canoniques jusqu’au doctorat. Il y reste quatre ans.
- En 1477, il signale un tremblement ressenti en Auvergne, et selon ses dires (séismes du 29 juin 1477 et du 1er mars 1490). « L’an du Seigneur 1477, le jour des saints Pierre et Paul, l’avant dernier jour de juin, environ la septième heure du matin, il y eut un grand tremblement de terre presque par tout le royaume de France ». Cette source lyonnaise est particulièrement précieuse : en effet, c’est la seule à nous faire connaître le jour et l’heure du séisme car ce séisme fut ressenti jusque vers Lyon.
- En 1480, il fait un voyage à Paris, sur lequel il ne s’explique pas davantage que sur son voyage à Rome.
- En 1490 il est élu grand-sacristain.
- Enfin, en 1493, prieur de Courzieu en même temps que grand-prieur, il est probable qu’il resta alors à Savigny et qu’il y mourut.
- Il faut placer sa mort entre 1501 et 1506.
La chronique de Benoît Maillard.
On lui doit de nombreux ouvrages, notamment un nouveau recueil sur la règle, une traduction et un commentaire des textes des Saint Pères, un traité des offices monastiques, un essai sur la sépulture des laïcs et religieux, un nouveau bréviaire et enfin la chronique, probablement rédigée sous Charles VIII à partir de notes éparses.
Benoît Maillard répertoria, sans toujours distinguer l’essentiel de l’accessoire, tous les faits se déroulant sous ses yeux ou qu’il entendant raconter. Exceptée l’abbaye, rien n’est oublié : entrées et séjours à Lyon des rois, reines et grands seigneurs, ligues princières, passages des troupes, campagnes italiennes, épidémies, famines, inondations, éclipses, tremblements de terre, comètes, tempêtes, période de pluie, abondance ou pénurie de récoltes… des anecdotes locales aux réalités nationales s’ordonne un récit minutieux parfois entrecoupées d’erreurs sur les dates et noms de personnages.
Un partisan de l’ordre.
Benoît Maillard était d’un esprit méthodique, méticuleux même, c’était un amoureux de l’ordre. Remplissant en toute conscience ses diverses fonctions, arrêté souvent par la difficulté des recherches dans les terriers et les chartes du monastère, il refit les premiers en presque totalité, quant aux chartes, il prit le cartulaire, fit une sorte d’analyse de tous les actes qui y sont renfermés, et les classa chronologiquement à la suite d’une courte notice sur l’abbé intervenant au nom du couvent de Savigny : ce qu’il intitule les Nomina Abbatum. Partout dans son manuscrit apparaît le même besoin d’ordre et de méthode, même dans ce qui ne touche point directement à ses fonctions. Aussi fait-il un traité sur les fonctions de chacun des dignitaires du couvent. Il descend jusqu’aux détails de la cuisine, ayant l’air de trouver que, même là, on oublie la tradition.
Un pédagogue.
Le moine à vocation forcée du XV ème siècle apparaît bien peu dans toute cette longue vie. Si, parfois, il a l’air de se décerner des éloges à lui-même, s’il blâme son prédécesseur ou son successeur, s’il prend les autres moines à témoin que, sans lui, telle ou telle affaire n’eut pas réussi, c’est plutôt pour tracer un exemple que pour se faire valoir. Il s’adresse surtout aux jeunes, à qui il semble dire tout au long : « Voilà la route à suivre ».
Une seule fois s’éveille le moine précurseur de ceux raillés par Rabelais : en 1496, recueillant la dîme de son prieuré de Courzieu, il se trouve avoir environ cinq cents ânées de vin, un Deus laudetur ! des remerciements lui échappent : Dieu soit loué ! Mais qui pourrait ne pas excuser cette exclamation, ce cri si humain, après une bonne aubaine ?
Un pareil homme devait être habile administrateur, aussi ses supérieurs le distinguèrent-ils bientôt : d’abord capiscolus (celui qui s’occupe des enfants ), il échange cet office contre celui de cruisier, (pers qui s’occupe du cierge ) fonctions qu’il remplit de décembre 1462 à avril 1464. Il accepte ensuite les fonctions de communier, que tout le monde refusait comme trop difficiles à bien remplir. Pendant dix-huit ans il est communier, renouvelle encore les terriers, recouvre les cens perdus, fait maints procès aux nobles, prêtres, curés, prieurs, marchands et autres laboureurs. Etudiant à Valence, il ne néglige point les intérêts de son couvent : pendant les quatre ans qu’il y passe, il conduit un procès pour obtenir le charnage de Bessenay qui, dû à l’abbaye, n’avait jamais été payé.
Missionné par l’abbé.
En 1469, son abbé le charge d’une mission assez délicate, comme le montre une analyse d’acte : “Visite faite par Benoît Tassin, dit Mailliard, docteur es droit, communier de Savigny et vicaire général de Jean d’Albon, abbé dans le pays de Savoye, sçavoir du couvent du prieuré de Luatret, diocèse de Lausanne, où il visita l’église de haut en bas, le vestiaire de ladite église, chapes, aubes et autres ornements, reliques, joyaux, dortoir, maisons des religieux et officiers dudit prieuré, le château, maisons et fonds d’icelui, et ce en présence des religieux“.
Son voyage à Rome de 1464, comme celui de Paris de 1480, est fort probablement effectué aussi pour remplir une mission. Grand-sacristain, Benoist Maillard, poursuit avec acharnement sa tâche d’amélioration, copie encore les terriers de cet office et soutient divers procès pour sauvegarder les droits de l’abbaye. Grand-prieur et prieur de Courzieu, il montre la même énergie : en arrivant dans son prieuré il veut placer un portier aux deux portes du vin(g)tain du château et malgré toute résistance il l’emporte, en vient à ses fins. Le curé de Courzieu avait de tout temps la garde de la clef d’une des portes du vin(g)tain, il la lui enlève quand même et la remet au viguier, qui promit de la rendre à toute réquisition. Il lutte contre les habitants de Courzieu, qui établissent des pressoirs au préjudice du prieur, supprime un repas annuel que les moines offraient à leurs tenanciers, renouvelle les terriers, poursuit le recouvrement des cens : en un mot, il ne laisse rien échapper de ce qui peut être profit pour son couvent.
Benoist Maillard …Historien ou chroniqueur ? après l’homme, passons à l’écrivain. Outre les travaux qui entraient dans ses fonctions, c’est-à-dire les copies et la continuation des terriers, on lui doit :
- Un livre d’hymnes qu’il écrivit à Bessenay, en 1477, où il s’était réfugié à cause de la peste.
- Un bréviaire qu’il ordonna plus clairement.
- Un traité de la confession.
- Un nouveau traité sur la règle.
- Une traduction de textes des saints Pères. Tout cela n’est point œuvre d’historien.
Les Nomina abbatum ne sont qu’une analyse des actes du cartulaire de Savigny. Les courtes notices sur chacun des abbés sont puisées à diverses sources plus ou moins sûres. Il ne reste donc, en fait d’œuvre historique, que la chronique.
Cette chronique est-elle bien un travail d’historien ? Benoît Maillard se contente d’insérer les faits qui se passent sous ses yeux, que lui rapportent ses frères ou que lui apprennent les bruits de la foule : ce sont des notes que rien ne relie entre elles. Une sorte de journal au jour le jour, sans aucune appréciation. Néanmoins, le moine de Savigny a fait œuvre utile : il nous donne des détails précieux sur l’histoire du Lyonnais et même sur l’histoire en général. Ces notes si brèves reflètent mieux la pensée du peuple que de longues phrases longtemps cherchées : dans son latin incorrect, mélangé de français, il arrive parfois à une simplicité d’exposition qui touche au talent. De l’avis d’un savant émérite, ses observations météorologiques sont particulièrement intéressantes pour la science.
Qui enregistre de nos jours les plus petits phénomènes, dans le but de découvrir les lois qui les provoquent et les régissent ?
Publication de ses chroniques :
Chroniques de Benoit Maillard Grand-Prieur de l’abbaye de Savigny en Lyonnais publiées par Georges Guigue.